vendredi 22 mai 2009

Mercredi le 15 octobre 2003

En cette 3e journée de mon stage dans le magnifique jardin de Villandry, après la salutation et la poignée de mains quotidienne, je besogne à l'abri avec une petite équipe. Je dois dire qu'il fait encore nuit au début de notre quart de travail. Il est 7h30 du matin mais le soleil n'est pas encore levé. Pour certaines personnes, ça peut être un peu difficile d'embaucher quand le coq n'a pas encore chanté... vivement le changement à l'horaire d'hiver pour eux. Moi, j'aime ça parce que cette période plus ralentie me permet de faire plus ample connaissance avec l'équipe de 9 jardiniers et de savoir comment ça fonctionne ici. On fait cette tâche tous les matins depuis mon arrivée, à raison d'une demie-heure par jour.

Ainsi, on s'installe le plus confortablement possible dans le grenier des communs (*Les communs sont les anciennes écuries du château. Elles ont été reconverties en locaux pour les jardiniers, et en appartements pour le châtelain et sa famille, la belle marmaille du chef jardinier et celle du gardien de sécurité), à travers des dizaines de boites remplies de bulbes poussiéreux, pour le nettoyage des tulipes. Le travail consiste à les débarrasser des feuilles sèches et de leurs bulbillons. Ce sont les bulbes qui ont égayé le jardin au printemps d'avant. Parait que c'est magnifique et les visiteurs repartent avec une fleur. Après la période de floraison, les jardiniers les sortent intègres du jardin et les entreposent au sec pour la saison estivale. En cette période automnale, une fois les bulbes asséchés, il est alors temps pour nous de trier les plus beaux et les plus gros. D'ici les environs de mi-novembre, on les replantera. J'y serai !

Après cette première demie-heure fort agréable, je suis pairée à Jean-Pierre (mon vieux bougon adorable) et on refait des potiches... 14 en tout... remplies de pensées jaunes et bleues. Il en profite pour me faire voir l'ancienne salle de bains des châtelains (qui n'habitent plus le château depuis 1972 environ) en allant chercher de l'eau d'arrosage. J'adore voir ces coins interdits au grand public. Je me sens très privilégiée.

Puis J-P me parle d'un tunnel maintenant bouché (photo du bas: sous le mur - à droite - près des vignes) qui, lors des grandes guerres, permettait de s'enfuir et arrivait dans le village voisin (1 km), dans les grottes de Savonnières, ... ben oui, les grottes PÉTRIFIANTES. Dans ces grottes qu'on peut visiter soit dit en passant - même si vous ne pouvez plus déboucher à Villandry - on y voit des stalagmites et stalagtites d'un ruissellement d'eau très calcaire, tellement calcaire qu'elle calcifie tout objet qui y trempe. D'où le mot PÉTRIFIANTES. Ne pas confondre avec ÉPEURANTES, ça n'a rien à voir... je me lis et je rigole... je vous ai dit que je cause beaucoup ? Je fais du coq à l'âne des fois ... j'espère que je ne vous perds pas.

Puis J-P me montre le local des fleuristes, l'endroit d'où on monte les magnifiques bouquets de fleurs qu'on retrouve partout dans le châtau. Vous devriez les voir. Je garde souvenir d'un bouquet de tulipes superbes entre autres. Même défraichies, c'était splendide. La fleuristerie est un art en lui-même je le jure !

En fin matinée et en PM, opération coiffure au potager. On y nettoie radis noirs, bettes à carde et céleris. Et c'est pas fini. Faudra y revenir. Il y a toujours des feuilles fatiguées, moins belles. Et comme les jardins de Villandry accueille beaucoup de touristes et qu'il se prend des centaines, voire des milliers de photos à tous les jours, tous les plants doivent être exemplaires... d'où la minutie que j'ai encore aujourd'hui. On me l'a inculqué !

En cours de travail, j'y apprends aussi qu'il y aurait environ 50 km d'arbustes à tailler dans les jardins... 50 km d'arbustes de buis, charmes, pommetiers et autres arbres et arbustes... mais à tailler sur 3 faces... ça fait 150 km ça ! C'est pas mal long ! Et ce kilométrage à tailler, est fait 2 fois par an, au cordeau bien sur parce qu'il ne faut pas se fier à l'oeil qui risquerait de nous faire perdre la belle symétrie... je rappelle que nous sommes dans un jardin de seulement 6 hectares !! J'suis fatiguée juste d'y penser. C'est peut-être pour ça que je n'aime pas faire de taille... trop long et fatiguant, et trop de risques d'erreurs qui peuvent s'avérer irréparables.
Je sais pas si vous avez remarqué mais les arbustes sont taillés carrés. Il n'est pas recommandé de faire ce genre de taille au Québec à cause de nos couverts de neige qui écrasent et cassent les branches... à moins de les protéger d'un abri à neige. Ici au québec, on suggère plutôt la taille avec le haut arrondi. La neige risque un peu moins d'alourdir les arbustes... quoique avec nos abondantes chûtes en certaines années... bon, revenons à nos moutons... à notre journée de travail !

Aujourd'hui, j'ai aussi reçu une invitation pour visiter la cathédrale de Tours avec le monsieur organiste que j'avais rencontré plus tôt cette semaine... très gentil mais quand même... pas sure, je verrai. Ça c'est un côté que je trouve toujours très ennuyeux peu importe où je suis dans le monde... dois-je accepter une offre venant d'un homme inconnu... dois-je craindre ou non... comment cela sera-t-il interprété... c'est dommage quand même de devoir se priver au cas où... m'enfin, ça c'est ma condition de femme... triste... dans le doute, je préfère toujours m'abstenir, c'est ben plate comme on dit chez-nous, mais la prudence m'a toujours servi.

lundi 18 mai 2009

Mardi le 14 octobre 2003

Alors que mon co-loc est dans la merde (du compost de résidus du jardin très bien composté), moi je suis dans les roses. Ben oui, j'ai taillé les quelques 100 rosiers du potager... ce qui fait d'ailleurs que ma chambre embaume ce soir.

Ouvrons une parenthèse:
En passant, je n'ai pas expliqué que les jardins de Villandry sont connus et reconnus, principalement pour son potager ornemental. Ce dernier tient peut-être dans un hectare (le site de Villandry en a 6) et se compose d'un damier de 9 grands carrés, ayant chacun des motifs différents de buis et composés de légumes décoratifs aussi différents. Vous voyez la photo principale de mon blog ? On voit bien ce que ça donne. Sur la photo ci-contre, on voit l'un des 9 carrés. La couleur bleue pale montre des fleurs annuelles, et les motifs verts, roses, jaunes, bleus foncés et noirs sont des légumes tels des poivrons, aubergines, choux, céleris, potirons, et quoi encore. Chacune de ces cultures est cernée de buis miniatures d'environ 1 pied de haut. De toute beauté. Il y a peut-être un siècle, ce serait une ancienne chatelaine de Villandry, qui aurait pensé le jardin ainsi. Et ce seraient sensiblement ses mêmes arrangements qui se répèteraient depuis, aux 4 ans. Pourquoi aux 4 ans ? Pour la rotation des cultures bien sur ! Il n'est pas bon d'avoir les mêmes familles de légumes aux mêmes endroits plusieurs années de suite. Le sol s'appauvrit mais aussi, les ravageurs et infestations d'une espèce s'y trouvent prêts à s'attaquer aux plants. On les trompe en déménageant les plants d'une année à l'autre ! Et voilà !

Plein de gens me demandent si on vendait les légumes. Eh bien non, pour la simple et bonne raison que la culture de ces dits légumes ne se faisait pas selon les standards (très stricts) du ministère de l'alimentation (ou de je ne sais trop quelle instance). De plus, plusieurs légumes n'étaient qu'ornementaux donc non-comestibles. Pour les "bons à manger", une fois arrachés du potager s'ils étaient encore beaux, le personnel en gardait et nous en donnions aussi aux visiteurs qui le désirait pendant leur tour du jardin. Enfin, les autres légumes arrachés, ils étaient jetés au fond du jardin, pour faire du compost (celui dans lequel mon co-loc pataugeait ce matin même, à son grand désespoir)
Fin de la longue parenthèse :-)

En après-midi de cette 2e journée, je fais de la coiffure de feuilles de radis et de choux décoratifs. Ces légumes, surtout les radis, touchaient aux buis et risquaient de les "brûler". Et puis, faut dire que c'est bien plus beau quand chacun est indépendant et qu'ils ne se touchent pas.

En fin PM, je suis allée m'acheter des cartes téléphoniques. Enfin !

Puis, je me suis initié aux claviers français (azerti) de l'ordinateur du châtelain. Charmant, il m'offre d'utiliser son ordi pour mes messages vers l'au-dela de la mer. Énervant quand même ce clavier parce que les touches ne sont pas aux mêmes endroits que celui que j'utilise présentement! Si bien qu'à force de sacrer (jurer pour les français) avec ça, je n'ai presque plus rien à dire à ma gang de québécois en attente de mes nouvelles ! Tant pis, il y aura bien une autre fois !

À l'heure de la débauche, à la fin de la journée de travail - ne pas confondre avec une autre définition du mot débauche ;-) un collègue m'a fait goûter à de la bernache, une boisson forte qui serait un genre de vin nouveau qui doit être consommé assez rapidement. Il est un peu traître parce qu'il n'apparaît que peu alcoolisé... apparaît je dis bien ! J'ai beaucoup aimé. Il va m'en acheter afin que je le fasse goûter à mon chum ! ... Ici, petit cours de diction pour mes amis français, s.v.p. prononcez "tchomm" ! J'ai été étonnée de constater que plusieurs d'entre vous utilisez plein de mots anglophones (et même le dictionnaire "Larousse" qui me fait sortir de mes gonds pour cette même raison mais ça c'est un autre débat), mais ne connaissent pas le mot chum, tiré de l'anglais pourtant... m'enfin, voici l'info est fournie :-)

Finalement, mon co-loc me fait (nous fait bien sur) pour souper, des pâtes Carbonara délicieuses. Je veux la recette même si ça donne surement 1kg autour de la taille !!! :-) menoum !
Malheureusement, je me suis aperçue de retour au Canada que nous n'avons pas de la crème fraîche comme en France... j'en suis quitte pour fantasmer sur la recette (que vous trouverez dans l'un des textes suivants) de Rémi mon ami !

Bon appétit !

dimanche 17 mai 2009

Le lundi 13 octobre 2003, 1re journée du stage

Lundi matin, 7h30, début de ma 1re journée de stage dans le grand jardin de Villandry.

Je suis excitée et très énervée. Je ne veux pas arriver en retard au boulot et je dois certainement stresser mon co-loc. La folle qu'il m'appellera quand on sera plus intime... c'est tout dire :-)

En France, au matin, on dit qu'on embauche, on commence la journée de travail. Chacun se serre la main et se salue, puis très vite, le chef distribue les tâches de la matinée.
J'y fais la connaissance d'une équipe de 10 jardiniers incluant le chef, qui travaillent à l'année au château... Mon chef bien sur, Patrick, puis Alain, Anthony, Aurélien, Bruno, Didier, Marc, Jean-Luc, Jean-Michel, Jean-Pierre. Comme vous verrez, il y a amplement de travail pour tenir occupé tout ce beau monde pendant les 4 saisons !
Mais trève de discussion. D'entrée de jeu pour cette 1re journée de stage, on m'assigne à l'équipe de taille. Je dois tailler à la cisaille les ifs (taxus baccata), ces immenses bêtes taillées en topiaires. Pas très loin, Marc et Bruno font la taille aux buis (buxus microphilla) du jardin d'amour. Comme il y en a plusieurs, ils sont armés de taille-électriques. Je ne le remarque pas mais je suis certaine qu'on m'a à l'oeil.

L'avant-midi passe vite sans pause (tiens c'est de là que je tiens ça, cette manie de ne pas me reposer un instant). Une courte pause-repas à l'heure du midi et déjà, on rembauche. Et à 15h30, une fin en beauté à racler les feuilles mortes près de la charmille (haie de carpinus). Comme c'est l'automne, c'est le début d'une longue série de journées de ratelage qui commence aussi !

16h30, fin de la journée de boulot. Je saute dans le Berlingo (un produit Citroen - la voiture du château qu'on me prête au besoin). Je vais à Langeais refaire des courses. Sur la route du retour, je continue à Savonnière pour aller à la pharmacie. Étonnant de voir et surtout d'entendre les clients saluer la compagnie lors de leur entrée par un grand Bonjour ! à tous. J'adore ! Et j'achète dorénavant cette expression Bonjour ! dite à la française.

De retour au pavillon pour livrer mes achats, j'en ressors immédiatement pour aller garer le Berlingo... et j'en profite pour une autre expédition à la cabine téléphonique: toujours sans succès ! Donc, fin des émissions. De toute façon j'ai faim. Gros souper avec Rémi mon co-loc, tout en faisant plus ample connaissance. Chacun a bien sur rigolé de l'accent de l'autre. Tout le monde en fait autant dans les mêmes circonstances, non ?

À 22h30, heure du dodo. Bonne nuit, je rêverai que je travaille pour un roi...

12 octobre 2003, 9h30, 1er matin... Café et croissant

Après une première nuit pleine de rêves, le réveil s'annonce fébrile. J'irai voir MON jardin enfin ! Douche, déjeuner, encore quelques plats à reloger sur les tablettes... je ne tiens pas en place... allez, je sors ! J'en profiterai aussi pour aller faire un appel au Canada, presqu'une aventure en soi ... mais je le ferai un peu plus tard parce que pour le moment, à l'autre bout de l'océan Atlantique et du fleuve St-Laurent, il n'est encore que 6h du matin !
Je fais l'entrée au jardin par la grande porte. Après la rencontre de membres du personnel, je prends le circuit régulier, celui qui retarde la visite du jardin. J'étire le temps, me fais patienter, me fais languir... un peu maso la fille... c'est comme si j'appréhende une déception... ou que je me garde la plus grosse part du dessert.
À la sortie de la boutique, mes pas m'amènent vers le château que l'on peut visiter et où un diaporama haut en sons et images est présenté. Les larmes aux yeux, je me dis que je ne me suis pas trompé... je suis tellement heureuse d'être là ! Tout est tellement magnifique.
Une visite rapide des pièces puis je constate qu'il est l'heure d'appeler au Canada... et tant pis si je sors mon amoureux des bras de Morphée. Je DOIS lui parler, c'est impératif. Je n'ai pas encore vu le jardin dans toute sa splendeur mais il faut que je transmette à mon dulciné ce que je vis.
La boite téléphonique m'en fait voir de toutes les couleurs. A veut pas ! et au bar, il n'y a pas de carte d'appel. Faut que j'aille à Savonnières le village voisin.
Je ne fais ni un ni deux et enfourche la bécane française pour un aller-retour vite fait. Mais la-bas, y a plus de cartes non plus... crousse. Et la femme du chef qui ne répond pas... tant pis. Je sens pourtant l'urgence d'appeler. Il FAUT que je compose ces chiffres magiques qui me rapprocheront de mon chum. Heureusement, Marie-Françoise à la boutique me permet de faire l'appel tant désiré. Génial. Même au milieu de la cacophonie des visiteurs nombreux. Pas grave, j'y ai parlé à mon bel amour...
...
...
Retour à la réalité, proche d'un rêve. La visite du jardin s'impose désormais.
Trop d'images, pas de mots pour décrire ce qui se passe au sol, comme dans ma tête et mon coeur. Le souffle coupé, les larmes constamment aux yeux, je regarde, touche, sens, goûte. Il y a des dizaines de visiteurs, mais je suis seule au monde. La vie s'est arrêté, juste pour moi.
Une centaine de photos plus tard, j'ai faim... allez hop, un saut au pavillon, chez-moi. J'en profite pour rédiger ma 1re carte postale destinée à vous savez qui... ... ... :-) ahhhhhh !
Retour à la boutique pour poster le tout. Évidemment, autre tournée du jardin (la 2e d'un nombre incalculable de visites), puis marche dans le village.
Une mélodie douce et ensorcelante vient de la petite église. Je ne vois pas âme qui vive, et pourtant la musique continue de me réjouir le coeur. Puis, un léger mouvement attire mon attention vers le balcon. Un organiste.
J'y rencontre un charmant monsieur, accordeur d'orgue, et privilégié à passer du temps dans ce lieu qui inspire le recueillement. Il m'offe une introduction à l'orgue. Très intéressant et bien des choses à retenir. Nous nous reverrons.
À mon retour au pavillon, je rencontre Rémi, mon co-loc pour un mois, un jeune maudit français adorable, et son père. Nous aurons le temps de faire connaissance et de confronter nos idées et préjugés respectifs... le choc des cultures dans le quotidien !